Par Julien Dray.
Je suis de ces militants qui conservent de lourdes interrogations sur les récents soubresauts à l’intérieur du Parti Socialiste. Je suis aussi de ceux qui pensent qu’il n’est pas bon que notre Parti soit inféodé aux institutions de la Vème République. Loin de moi l’idée de raviver les guerres puniques du mouvement étudiant. Mais je tiens en revanche à exposer ici les termes du débat qui doit immanquablement avoir lieu au plus vite.
La défaite majeure subie aux élections municipales vient de loin. Rien ne sert de focaliser les critiques sur les personnes quand les causes de la défaite doivent beaucoup à un renoncement collectif, à une absence de cap idéologique, d’ancrage dans la société. Il ne s’agit pas – j’insiste – d’une crise de leadership. Il s’agit d’une crise idéologique profonde, d’une crise de sens sur ce que le socialisme signifie et, conséquemment, d’une crise de l’outil qu’est le Parti Socialiste.
Nous avons mésestimé la capacité des droites à dominer culturellement la société française. Oubliant nous-mêmes de mobiliser cette société, de lui donner un cap, un espoir et un chemin, nous avons payé au prix fort dans les urnes le prix d’un égarement stratégique majeur.
Pour sortir de cette crise, nous devons inventer la prochaine étape du socialisme français, collectivement, tous ensemble. Car le sursaut ne peut qu’être collectif.
Idées, organisation, reconquête. Gagner dans les urnes implique de gagner dans les têtes. C’est le sens du combat idéologique, de la bataille culturelle que nous devons mener et qui commence par ce travail sur les idées mais aussi sur notre organisation afin d’engager la reconquête.
Rénover l’idée socialiste d’abord. Notre pays, notre continent ne sont pas dépourvus d’idées nouvelles. Il y a des raisons d’espérer de notre société, de ses forces et de ses richesses d’inventivité et de générosité. Il y a dans la société, des forces, des solutions nouvelles auxquelles il s’agit de donner un sens en les intégrant dans un projet socialiste renouvelé. Le Nouveau Parti Socialiste que nous devons bâtir signifie d’abord l’élaboration d’un nouveau projet de société. Ce projet doit être en phase avec l’ère de la mondialisation, avec les bouleversements qu’elle porte et auxquels nous devons répondre. Il faut assumer un réformisme radical. Il ne s’agit pas de hausser constamment les décibels contre le capitalisme ni de rester dans une forme de verbalisme et d’incantation. Il s’agit de faire preuve de volonté, en imaginant et apportant des solutions concrètes, des changements réels à la marche du monde. Il s’agit d’assumer notre part de rêve et de la confronter au réel pour changer le monde. Transformer la société, penser et bâtir la République européenne, redonner un rôle moteur à l’Etat dans la mondialisation. Il y a tant à faire !
Cela passe par notre ouverture à la société, aux syndicalistes ou militants associatifs, à d’autres partenaires de gauche, à des personnalités nouvelles – françaises ou européennes – et aux idées qu’elles portent.
Comment pourrions nous éviter de renouveler notre pensée sur l’Europe, sur le rôle de l’Etat dans l’économie, sur la République, sur le rassemblement de la gauche, vital et pourtant si malmené ? Oui, il importe de repenser tout ce qui avait force de l’évidence autrefois et qui aujourd’hui est fragilisé ou bouleversé par la grande mutation dans laquelle la France et l’Europe sont embarquées. C’est d’une dynamique unitaire que tout peut repartir. Prenons garde : l’éparpillement des forces de gauche est engagé. Il induit d’abord l’impuissance puis peut amener à la disparition. Au bout du chemin, c’est le risque groupusculaire, c’est le risque de revenir à la situation du Parti socialiste de 1969. Quelques heureux notables et 5% de voix !
Notre famille politique a donc besoin d’un grand rassemblement, d’Assises du Socialisme à l’automne largement ouvertes – en direction des militants syndicalistes, associatifs et aussi en associant ceux qui sont aujourd’hui en colère – pour refonder notre message, notre projet et donner une perspective intellectuelle au socialisme du XXIème siècle. Nous venons du socialisme républicain, nous portons cette tradition mais c’est une tradition qui a su longtemps se renouveler. Au fil de notre longue histoire, depuis Jaurès, nous n’avons jamais cessé de synthétiser les aspirations nouvelles à l’émancipation. Nous sommes les continuateurs de l’histoire du socialisme et c’est de notre responsabilité de nous renouveler pour que le socialisme vive. Tendre la main pour nous renouveler, tel est notre première mission et c’est la meilleure façon de créer le Nouveau Parti Socialiste. Evidemment, il s’agira cette fois d’aboutir à un grand texte refondateur, un manifeste socialiste refondé, repensé avec toutes celles et tous ceux qui y croient et qui ont envie de convaincre.
Rénover l’outil qu’est le Parti Socialiste est impératif. Les militants doivent être des acteurs à part entière du Parti. Il y a plusieurs manières de s’engager. Le Nouveau Parti Socialiste devra être capable de mettre au cœur de son fonctionnement les militants, toujours présents, maitrisant à la fois l’histoire du socialisme, ses buts ultimes, le fonctionnement du PS. Autour de ce cœur battant du NPS, se trouveront les volontaires, toutes ces femmes et ces hommes, qui à chaque élection apportent leur soutien au combat de la gauche mais qui ne souhaitent pas nécessairement être au cœur de « l’appareil ». Enfin, il s’agira d’organiser les soutiens du Nouveau Parti Socialiste. Nombreux sont ceux qui, dans la société française, sans forcément souhaiter militer, soutiennent les idéaux de gauche, les idéaux socialistes. Organisons ces forces !
Il nous faut en effet renouer avec des pans entiers de notre société. Une partie du peuple de gauche déserte les urnes. Et pourtant, ce peuple de gauche aimerait espérer, aimerait qu’un horizon soit défini et une mission historique nouvelle soit assignée aux socialistes. C’est au PS d’aller à sa rencontre. C’est en faisant des militants des acteurs, à la base, du combat culturel que nous devons porter que nous pourrons reconquérir le cœur et le vote des Françaises et des Français. Nous ancrer dans la vie locale, la vie sociale, de nos quartiers, de nos campagnes, de villes, de nos villages et bourgs, implique que nous renouvelions nos méthodes militantes, que nous ouvrions nos sièges fédéraux sur la société, que nous soyons davantage prompts à accompagner nos concitoyens dans leur quotidien, que nous associons militants associatifs, militants syndicaux à nos initiatives.
Il nous retrouver un rôle moteur dans l’animation du débat politique. C’est à nous, à ce qui sera le Nouveau Parti Socialiste, de lancer les idées et solutions nouvelles, de favoriser par des conventions, des événements nationaux l’émergence d’idées nouvelles et de les porter loin. François Mitterrand me confiait un jour que lorsqu’il était Premier Secrétaire du PS, pas une semaine ne se passait sans qu’il ne soit obligé de revenir de Château-Chinon pour s’exprimer au cours d’une Convention ou de tout autre événement national du PS. Quel bouillonnement ! Quelle vie ! C’est cela qu’il faut susciter !
La formation, trop longtemps délaissée par le PS, doit redevenir le cœur de notre préoccupation. Former, c’est donner à chacun les clés pour le socialisme. Clés par rapport à son passé mais aussi pour agir politiquement efficacement, au plus près de ses concitoyens. Former des militants c’est les rendre autonomes, les doter d’une idéologie, d’un savoir faire pour qu’ils précisent sans cessent leur idéal, sachent le faire partager et développent les moyens de leur action. Dans cette perspective, il faut renouer avec l’idée d’une école de combat politique – véritable « couveuse » de cadre – qui recherche dans toute la société les talents qui y sont présents, les énergies et qui forme ainsi les cadres de demain du mouvement socialiste.
Les militants doivent pouvoir être des références dans leur ville, leur commune, leur quartier, sur leur lieu de travail. Les réunions d’appartement, mais aussi les prises de parole dans l’espace public doivent être leurs outils… sans évidemment parler du 2.0.
Il nous faut également un hebdomadaire des socialistes, qui porte nos combats et nos idées. Un journal permet de créer l’événement partout, de susciter des débats, de répandre des arguments. Un journal est nécessaire, essentiel, au combat d’un parti politique, au même titre que les nouveaux outils du 2.0, que nous devons nous approprier le plus rapidement possible tant ils évoluent.
Reconquérir enfin le cœur de nos concitoyens et nous ancrer dans les territoires. Agir local. Chaque militant sait que c’est en donnant un sens à l’expérience concrète et quotidienne de nos concitoyens que l’on peut remporter des combats politiques, susciter l’adhésion et faire partager à toujours davantage de citoyens notre idéal.
C’est au prix d’une profonde refondation de notre projet et du parti lui-même. C’est aussi en faisant du Nouveau Parti Socialiste, le point de départ d’une nouvelle unité des forces de gauche et écologistes, d’une nouvelle coalition conquérante, en incluant les citoyennes et les citoyens engagés – militants associatifs ou syndicaux – que l’on peut engager cette nouvelle période. Voilà la feuille de route qu’il faut proposer au Nouveau Parti Socialiste.
Disons le clairement, l’enjeu est simple : changer ou mourir.