mercredi 21 août 2013

Ce que Valls apporte à la Gauche, par Jean-Jacques URVOAS*

Les marées sont un phénomène bien connu des bretons. Leur coefficient est observé car de lui dépend la capacité de pêche à pied, les courants qu’elles entraînent sont surveillés comme source potentielle de noyade, les flux et les jusants sont régulièrement répertoriés à toutes fins utiles.  Bref, elles font quasiment parties de notre ADN…

Il n’y a donc nulle surprise à constater le ressac qui depuis quelques jours se forme contre le ministre de l’Intérieur. Ce n’est qu’une agitation de surface qui résulte de l’interférence de son poids dans l’opinion et des sujets difficiles dont il a la responsabilité au sein du gouvernement. Son amplitude restera cependant faible car à l’évidence, Manuel Valls est – avec d’autres – un atout précieux pour la réussite du quinquennat de François Hollande.

Il y a (déjà !) 5 ans, j’avais écris  quelques lignes sur lui au moment de la publication de son livre « Pour en finir avec le vieux socialiste… et enfin être de gauche« . Ceux qui me font l’amitié de me lire savent donc que je ne suis ni l’un de ses contempteurs ni l’un de ses thuriféraires. Ce ne fut pas plus mon candidat lors des primaires socialistes. Manuel Valls est simplement un partenaire avec qui je travaille régulièrement, ce qui me donne l’occasion d’observer sa pratique au pouvoir.

Le ministre de l’Intérieur est d’abord un non-conformiste dans un milieu conventionnel. C’est avant tout ce qui, à mes yeux, explique l’intérêt que l’opinion lui porte. Il a des manières directes, l’esprit railleur, la parole aisée, un regard caustique. Il lui arrive de se montrer susceptible mais ce n’est pas un homme de chapelle ou de clan. Doté d’une capacité de travail peu banale, il fait preuve d’un goût vérifié pour l’efficacité.

Dès lors, sa présence à l’Hôtel de Beauvau est la meilleure garantie pour que dans cette législature la sécurité appartienne à la petite liste des priorités durables de la gauche. Après celui pour 2013 qui l’illustra concrètement, le budget pour 2014 le confirmera.

De même, son action depuis un an si elle n’est pas parfaite, peut aisément revendiquer la comparaison avec celle de ses prédécesseurs.  Le procès en sorcellerie sur une supposée similitude avec Sarkozy ne tient que pour ceux qui se contentent des facilités ou des approximations. (Qu’on me permette ainsi de renvoyer à un petit texte que j’avais publié dans Marianne, le 8 novembre 2012, en réponse à une tribune d’Edwy Plenel).

Comment peut-on par exemple écrire en permanence qu’il aurait comme préoccupation constante de se comporter comme le relai des syndicats policiers les plus conservateurs quand on connait laréforme qu’il a imposé de la « police des polices«  ? 

Comme Pierre Joxe le fit, Valls a mis la déontologie et l’exemplarité au coeur de sa vision du fonctionnement de son administration. Demain, par exemple, tous les citoyens s’ils s’estiment victimes d’un dérapage de la part d’un policier (verbal, physique, soupçons de corruption…) pourront directement saisir l’Inspection générale de la Police.  Plus besoin de vidéo sur Internet comme on vient de le voir à Joué-les-Tours pour alerter sur des comportements troubles.

On lui reproche aussi un vocabulaire par trop martial et une attirance soutenue pour les médias. Il est vrai qu’il a du caractère et considère la vie publique comme une lice, la politique comme un champ de bataille et le pouvoir comme un donjon à prendre. Il est logique alors qu’il utilise les émissions de radio ou de télé comme des machines de siège ou des feux grégeois. Si ses mots claquent c’est qu’il les aiguise comme des traits d’arbalète et ses formules comme des balistes. On peut le critiquer pour choisir de ne pas travestir sa pensée et de regarder les situations dans nos villes aussi froidement mais n’était-il pas plutôt simplement en accord avec Jaurès qui, à la tribune d’un congrès socialiste (c’était en septembre 1900), s’écriait  » quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots » ?

Enfin, on critique son absence de résultat. Quand l’attaque vient des chasseurs d’affût de l’UMP, il faut surtout y lire leur crainte de le voir réussir là où l’échec fut leur seul bilan. Quand cela vient de nos rangs, je suis plus dubitatif : aigreur, jalousie, myopie ? La gravité, la profondeur et surtout la banalisation de la délinquance ont mis longtemps à être reconnues. Aujourd’hui l’anomie de notre société, la lente désagrégation de certaines de ses règles ne sont plus contestées. Il faut donc une lente et patiente action pour stopper la mise en cause endémique de l’autorité – des autorités – et rétablir la sécurité. Valls s’y emploie, il a besoin de temps. C’est son devoir et notre intérêt.

Jean-Jacques URVOAS est Député, Président de la commission des lois, Spécialiste reconnu des questions de sécurité.